Cet article est une republication de l’article original publié sur la version antérieure de Lexxika.com.
Il n’est donc plus d’actualité, mais vous pouvez y trouver des réflexions et des points de Droits qui restent encore valides et pertinents.
La HCC a décidé ! Enfin ! Au bout de 3 semaines d’attentes plutôt chargées en émotions durant lesquelles se sont succédé :
- l’e-indignation sur le langage-à-ne-pas-tenir-devant-votre-mère de certains députés musiciens,
- les débats et analyses juridiques contradictoires, confus et grossiers de la part de juristes peu recommandables détenteurs de vérités – dont fait indubitablement partie votre serviteur -,
- une arrestation musclée et fumante qui ferait verdir de jalousie les forces de l’ordre nord-coréennes,
- un communiqué officiel qui pourrait, encore une fois, constituer à une atteinte grave à la liberté d’expression audiovisuelle,
- les interminables discussions d’État autour d’une bière entre bons amis et le gars qui parle toujours trop de politique,
la HCC a pondu une belle œuvre d’une bonne treizaine de pages qui détaille les raisons pour lesquelles le Prezy va rester Président et l’AN va devoir faire avec. Oui, la mise en accusation du Prezy est rejetée, car non fondée !
Tant mieux, tant mieux ! La décision ne va vraisemblablement pas calmer les passions de suite, mais on pouvait espérer un pas supplémentaire vers une certaine stabilité du Pays. Toutefois, une semaine à peine après la décision de la HCC, voilà que nos députés, soucieux du respect scrupuleux de l’État de droit, affirment haut et fort vouloir engager des poursuites contre la HCC au motif du « déni de justice ».
Le déni de justice étant le fait, pour un juge, de refuser de juger, ces députés reprochent ainsi à la HCC de ne pas avoir jugé après un jugement. Nos députés me semblent toujours aussi inspirés.
Boutades à part, il semblerait qu’ils soupçonnent surtout une décision motivée par des fins bassement politiques de la part de la HCC, plutôt qu’un respect impartial du droit. Mais qu’en est-il vraiment ? Nos députés experts juridiques ont-ils raison de soupçonner un comportement défavorable de la part de la HCC ?
Il convient de revoir la source du problème : la décision n°24-HCC/D3 du 12 juin 2015.
Les faits, rien que les faits !
Le Président de l’AN a transmis à la HCC, qui l’a enregistrée, entre autres, les pièces suivantes :
- une requête de mise en accusation afin de déchéance du Prezy en date du 22 mai 2015,
- les listes et émargements des députés durant la soirée du 26 mai,
- une résolution de mise en accusation afin de déchéance du Prezy en date du 27 mai 2015,
- les bulletins du vote du 26 mai.
Pour ceux qui n’auraient pas saisi la différence entre la requête de mise en accusation et la résolution de mise en accusation : la requête correspond au moment où des députés demandent au Président de l’AN d’enclencher la procédure de mise en accusation du Prezy et la résolution correspond au moment où les députés réunis en Assemblée plénière – la soirée du 26 donc – votent en faveur de la mise en accusation.
Au sein de la résolution de mise en accusation, 5 députés – et non pas les 2/3 qui sont censés avoir votés, allez savoir pourquoi – accusent le Prezy de haute trahison, de violation grave et répétée de la Constitution et de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.
1 – Qui saisir ?
Je suis persuadé que vous n’avez pas oublié le premier des grands débats de ces dernières semaines : la HCC était-elle compétente pour statuer, alors que la question de la déchéance du Prezy relevait normalement de la compétence de la HCJ ?
Si certains d’entre vous s’interrogent encore sur l’utilité de la question parce que les juges, c’est tous les même, je me permets de vous opposer l’analogie suivante : s’interroger sur la compétence du constitutionnaliste en matière de déchéance présidentielle revient à s’interroger sur les capacités de votre cardiologue en matière de lésions cérébrales; vous ne doutez pas qu’il s’y retrouve quelque part, mais vous ne vous sentirez pas forcément entre les meilleures mains. Ainsi, qui de la HCC et de la HCJ saisir ?
Du côté des députés
Les députés, pour lesquels la réponse va de soi, n’ont pas spécialement fait d’annonce sur ce sujet, et, à la lecture de la décision, ne se sont même pas donné la peine de produire des moyens explicatifs sur leur position. D’une démarche assurée, ils sont directement passés au fond.
Du côté du Prezy
C’est tout le contraire, si les avocats du Prezy devaient plaider en quelques lignes, voici ce qu’ils auraient dit : « On devrait être devant la HCJ et non la HCC, car :
- Conformément à l’article 167 de la Constitution, le Prezy a invité toutes les personnes concernées à désigner les membres qui composeront la HCJ,
- L’AN a désigné ses deux représentants,
- 6 autres membres de la HCJ sont identifiables,
- les membres de la Chambre d’instruction sont également identifiables,
- La HCJ ne siège pas en permanence,
- Il faut une saisine officielle pour qu’elle se réunisse.
En conséquence, elle est opérationnelle : il y a donc lieu de déclarer l’incompétence de la HCC.«
Ce que pense la HCC
La Constitution attribue à la HCJ la mission de juger de la responsabilité du Prezy((article 131 de la Constitution)). Dans toute l’histoire, la HCC, normalement, ne peut que constater la vacance de la Présidence si la déchéance devait être prononcée((article 132 de la Constitution)). Or, si la HCJ n’est pas opérationnelle dans le délai de 12 mois à partir de l’investiture du Prezy((Il s’agit de l’interprétation des juges, ce n’est pas tout à fait la lettre de la Constitution)), la HCC est habilitée ‘exceptionnellement’ à se substituer à la HCJ((article 167 de la Constitution)).
C’est cette ‘substitution’ qui va permettre à la HCC d’affirmer qu’elle va alors jouir de la plénitude de juridiction attribuée par l’article 135 de la Constitution ; ce qui signifie qu’elle va bénéficier de toutes les ‘compétences matérielles de la formation de jugement’ et ‘est autorisée à statuer sur l’ensemble des questions qui lui sont soumises’.
Elle vient donc de se déclarer compétente.
La HCC a également consacré dans ses discussions la nature pénale du régime de responsabilité du Prezy, en soulignant d’une part, que la juridiction compétente est une Haute Cour de Justice – dès qu’il y a ‘justice’ dans la dénomination d’une institution, c’est souvent du pénal – et d’autre part, que la loi relative à la HCJ édicte un certain nombre de renvois au Code de Procédure pénale((aux articles 55, 56, 58, 60 et 67 de la loi nº 2014-043)).
En conséquence, selon elle, cette matière((la responsabilité du Prezy)) doit être soumise aux principes généraux du droit pénal, notamment au principe de la légalité des délits et des peines. Le principe de la légalité des peines c’est, en langage juriste frimeur, le fameux : ‘nullum crimen, nullum ponea sine lege’. En français, cela veut dire qu’il ne peut y avoir d’infractions, ni de peines, si la loi ne l’a pas expressément prévu. Elle est consacrée par l’article 9 de la Constitution sous ces termes : ‘Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites’.
C’est bien tout ça, sauf que vous me direz que la loi et la peine existent, elles sont même constitutionnelles, du coup où est le rapport ? Et bien en fait, c’est son corollaire qui intéresse la HCC : le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Ce principe exige qu’il ne faut pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, notamment par analogie. Ainsi, une infraction doit être clairement et précisément définie par la loi.
En rappelant ces principes, la HCC va alors affirmer qu’elle doit exercer sa juridiction dans ‘le respect de l’interprétation stricte et non analogique aussi bien de la légalité matérielle que des règles de procédure’. Autrement dit, il convient de lire la Constitution à la lettre et non pas de faire des interprétations incertaines sur une existence supposée de la HCJ. En conséquence : encore une fois, pas d’histoire de HCJ.
AN 1 – Prezy 0.
2 – Comment saisir ?
C’est bien beau de ne pas se tromper de spécialiste, mais maintenant, il faut remplir le formulaire adéquat. Entrons dans les questions de procédure. L’importance du respect de la procédure, c’est, pour refaire dans l’analogie médicale, le fait de s’assurer, pour la validité de l’examen, que les sondes d’une endoscopie aillent bien dans la bouche du patient et que les sondes d’une coloscopie aillent bien dans son côlon et surtout pas l’inverse ; chaque instrument a son utilité et doit être utilisé au moment et à l’endroit opportuns. En droit, le juste procès ne peut se dissocier de la juste procédure.
Du côté des députés
Comme ceux-ci se sont vraiment concentrés sur le fond, un seul argument a été soutenu : L’article 34 de l’ordonnance relative à la HCC((Ordonnance nº 2001-003)) dispose que « les requêtes en introduction d’instance frappées d’irrecevabilité ou de nullité pour inobservation des prescriptions de la loi ne donnent pas lieu à échange de mémoire ou conclusion ». Or, il y a en ce moment même des échanges de mémoires, il est donc trop tard, la requête a été favorablement reçue par la HCC.
Du côté du Prezy
La question de la procédure semble avoir été le fer de lance de la défense présidentielle, car c’est celle sur laquelle les avocats se sont le plus attardés. S’ils devaient plaider en 5 minutes, voici ce qu’ils auraient dit : “ La requête des députées est irrecevable, car :
1 – Il y a eu manipulation des chiffres : La requête en déchéance comporte 114 signatures((“et non 121 comme affirmé dans les médias”)) dont certaines sont des faux. Il y a 64 députés qui déclarent solennellement s’opposer à la déchéance. En conséquence, le nombre de 121 députés votants(( qui correspond au quorum)) et la majorité minimale de 102 députés((majorité des ⅔)) sont loin d’être atteints.
2 – Il y a eu une violation des règles de procédure : La loi sur la HCJ((loi nº 2014-043)) est applicable pour le cas d’espèce, notamment pour le caractère contradictoire de la procédure et la garantie des droits de la défense. Or,
- ils ont brûlé des étapes ((violation des articles 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 25)), notamment celles où le Prezy aurait dû pouvoir se défendre devant les députés ;
- la loi((articles 19 et 23)) impose que les deux députés nommés pour être membres de la HCJ se taisent dans le processus de vote de la mise en accusation pour des raisons d’impartialité or, ils ont pris part au débat ET au vote – Ce qui me semble prouver que les élus ne font pas vraiment pas de bons juges – ;
- la loi((articles 27 et suivants)) impose qu’il y ait une instruction – sorte d’enquête judiciaire préalable à la saisine du juge – de la requête de l’AN et que ce soit la Chambre d’instruction qui saisisse, par un arrêt de renvoi, la HCJ. Le dépôt de la requête par l’AN directement auprès de la HCC est donc irrecevable.
3 – Il y a eu violation des règles imposées par la Constitution pour la procédure de mise en accusation : L’article 131 de la Constitution dispose que le Prezy ne peut être mis en accusation que par l’AN au scrutin public et à la majorité des ⅔ de ses membres. Or le vote réalisé dans la nuit du 26 mai recourrait au scrutin secret, ce qui rend ce vote nul. ”
Ce que pense la HCC
– À titre de rappel, le problème était de savoir si le dépôt de la requête pour la mise en accusation a respecté ou non les règles de l’art. Il y avait la question du non-respect du vote public et de la majorité des ⅔ des députés. On pourrait croire que les procédures instaurées par la loi relative à la HCJ entrent également en compte, cependant, la loi relative à la HCJ me semble avoir été écartée à partir du moment où la HCC s’était déclarée compétente. La décision ne comporte cependant pas de paragraphe confirmant ou infirmant expressément mon propos. – À titre purement personnel, c’est LE point que j’ai estimé, et que j’estime toujours, irrecevable.
Mais qu’en a pensé la HCC ? Et bien la HCC, juste après avoir exigé le respect de l’interprétation stricte de la loi et non pas de partir vagabonder dans de la dissertation philosophique va soutenir les points suivants :
Puisque la procédure de déchéance du Prezy relève du droit pénal, il faut obligatoirement respecter, à toutes ses étapes, les principes constitutionnels d’une procédure ‘équitable, indépendante et impartiale, contradictoire et garantissant l’équilibre des droits des parties’ – mmmoui… pourquoi pas … –
Ces principes relèvent initialement de :
- l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’AG des Nations Unies,
- l’article 14 du Pacte international des droits civils et politiques adoptée par l’AG des Nations Unies le 16 décembre 1966,
qui sont des Conventions internationales qui font partie de la Charte internationale des Droits de l’Homme, Charte qui s’impose à l’ensemble des lois malgaches, dont la Constitution, en application du Préambule de la Constitution – Le préambule précise en effet que ‘Considérant la situation géopolitique de Madagascar et sa participation volontariste dans le concert des nations, et le pays faisant siennes, notamment la Charte internationale des droits de l’homme ;’ -.
Ainsi, puisque la HCC a accédé à la requête des avocats de plaider devant elle((article 29 de l’ordonnance relative à la HCC)), et a permis l’échange des mémoires((article 32 de l’ordonnance relative à la HCC)), elle a fait une juste application du principe du contradictoire – le droit de contredire son adversaire devant le juge et tout au long de la procédure -, composante essentielle d’un procès équitable.
D’ailleurs, toujours selon la HCC, l’”esprit” de l’article 13 de la Constitution consacrerait également ce droit((L’État garantit la plénitude et l’inviolabilité des droits de la défense devant toutes les juridictions et à tous les stades de la procédure y compris celui de l’enquête préliminaire, au niveau de la police judiciaire ou du parquet.)). Ensuite, elle rappelle que l’article 34 de l’ordonnance relative à la HCC((ordonnance nº 2001-003)) dispose que : “Les requêtes introductives d’instance frappées d’irrecevabilité ou de nullité pour inobservation des prescriptions de la loi ne donnent pas lieu à échange de mémoires ou conclusions ”. Enfin, elle a rappelé que, dans un Avis antérieur relatif aux modalités de vote de la motion de destitution du Président de l’Assemblée nationale((Avis nº 01-HCC/AV du 8 mai 2006)), le principe de la séparation des pouvoirs lui impose de ne pas interférer dans le fonctionnement interne d’une institution souveraine, notamment en matière de détermination du mode de votation.
En conséquence de tout ce qui précède, il y a lieu de déclarer la requête de l’AN recevable. Ainsi, plus question de fausses signatures, plus question de vol de vote, plus question de scrutin public, plus question de députés manquant, plus question de majorité, etc.
AN : 2, Prezy : 0.
C’était le raisonnement de la HCC.
Quand bien même je respecte les compétences des juges de la Haute Cour et ne doute pas de leur connaissance largement supérieure de la Constitution, je ne peux m’empêcher de lever le sourcil gauche à la lecture, et à chaque relecture, de cette partie de la décision. Non seulement “scrutin public” et “majorité des 2/3“ sont écrits noir sur blanc dans la Constitution mais, de plus, ils partaient de la conclusion du paragraphe précédent qu’il convenait de lire, sans interprétation aucune, ce qui était écrit noir sur blanc ! Bon, ne tergiversons pas davantage, cette analyse, même si bien entendu elle tient techniquement la route – ce sont quand même les juges de la HCC -, est vraisemblablement motivée par autre chose que le pur juridique.
J’ai 3 théories sur le sujet :
- soit, ils ont accepté trop précipitamment, peut-être sous la pression, la requête d’un échange de mémoires et ont dû chercher par la suite une explication relativement tangible à cette erreur ;
- soit, ils ont voulu sauter la forme afin d’étouffer les différents scandales entourant les deux parties – par exemple, les accusations de fausses signatures du côté de l’AN et celles de l’achat de voix de députés du coté de la Présidence -, dans le but de préserver la dignité et un semblant d’intégrité des deux institutions ;
- soit, ils ont voulu trancher sur le fond et ne pas s’arrêter à la forme.
En effet, dans une décision de justice, toutes les questions de formes – entendre “procédure” – passent préalablement avant le fond. On ne juge le fond – l’infraction en elle-même – que lorsqu’on est sûr que la forme a été respectée, garantissant ainsi un procès équitable. Or, s’il y a vice sur la forme, le procès n’est plus équitable et peut entraîner une mauvaise interprétation du fond.
Dans le cas d’espèce, par exemple, la loi de la HCJ exigeait que les députés membres de la HCJ ne prissent ni part au débat, ni part au vote. S’ils devaient prendre part au vote – ce qu’ils ont fait -, cela équivaudrait à de la partialité manifeste de la part de ceux qui vont juger par la suite. Il s’agit alors d’un vice dans la procédure qui va déséquilibrer le procès.
Ainsi, pour revenir à nos moutons, si la forme n’a pas été respectée, il n’y a pas lieu de trancher sur le fond, car de toutes les façons, le procès est ruiné.
Il fallait en conséquence justifier le respect de la procédure si on voulait trancher sur le fond… ou du moins trouver le moyen de la recevoir. Pourquoi vouloir trancher sur le fond me demanderez-vous, alors que j’ai soutenu dans mon précédent billet qu’il ne fallait surtout pas le faire ? J’ai deux autres théories sur le sujet :
- si la HCC devait rejeter la requête de mise en accusation pour vice de forme, les députés auraient parfaitement eu la possibilité de reprendre la mise en accusation depuis le début, et dans le respect scrupuleux des règles. Cela risquait de rallonger inutilement une crise qui n’a pas lieu d’être sur le fond.
- La HCC voulait absolument débattre sur le fond afin de trancher le problème devant le peuple malgache. En effet, si la requête ne devait être rejetée que pour une question de procédure, le Prezy n’en sortirait pas blanc comme neige même s’il avait eu éventuellement raison. Par analogie, ce serait comparable à l’énervement des gens lorsqu’ils demandent aux pénalistes ce que ça leur fait de libérer un accusé pour le simple manquement d’une signature – et j’ose espérer que vous aurez maintenant compris pourquoi ce ‘simple manquement de signature’ est-il si important !
Dans tous les cas, la HCC a déclaré la requête recevable, et pis c’est tout. Je pourrais continuer tranquillement l’analyse de la suite de la décision, mais il y a un dernier point de ce paragraphe qui me semble terriblement problématique et qui est passé aux oubliettes : lorsque la HCC avait soulevé l’Avis antérieur sur les modalités de vote de la motion de destitution du Président de l’AN((Avis n°01-HCC/AV du 8 mai 2006)).
Elle avait indiqué, en considération de cet Avis, qu’en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, la HCC ne peut interférer dans le fonctionnement interne d’une institution souveraine, notamment en matière de détermination du mode de votation. Il me semble qu’on tend vers une jurisprudence, et je ne suis absolument pas d’accord sur son utilisation dans le cas d’espèce.
L’Avis en question concernait, comme sa nomenclature l’indique, des interrogations de l’époque sur la destitution du Président de l’AN. Dans les faits, les députés avaient procédé pour ce faire à un vote secret, et la Constitution de l’époque ne précisait rien d’autre que “Le vote [NDLR : des députés] a lieu au scrutin public et à main levée, sauf pour les questions touchant personnellement les membres de l’Assemblée Nationale”((Article 68 de la Constitution de la III République)) ; Ainsi, sans précision supplémentaire concernant les modalités de vote sur les questions touchant personnellement les membres de l’AN, rajouté au principe de séparation des pouvoirs judiciaire-législatif, la HCC a déterminé à juste titre que “L’AN est seule souveraine pour déterminer les modalités de votation en matière de destitution d’un membre du bureau permanent.”
Or, pour revenir dans le cas d’espèce, ce raisonnement est irrecevable ; et cela, pour deux raisons : – premièrement, il y a, en l’occurrence, des textes qui légifèrent précisément la matière de déchéance du Prezy. La Constitution indique clairement les modalités du vote et la majorité à atteindre. – deuxièmement, en l’occurrence, il ne s’agit pas d’un vote dont la portée se limiterait au fonctionnement interne de l’AN, mais qui porte sur une autre institution souveraine.
En consacrant le principe de la séparation des pouvoirs judiciaire et législatif dans le cas présent, la HCC vient d’étendre le sens qu’on peut donner au principe et d’affirmer que l’AN peut désormais voter comme bon lui semble au mépris éventuel des impératifs de la Constitution, car, de toutes les façons, “la HCC ne peut interférer dans le fonctionnement interne d’une institution souveraine notamment en matière de détermination du mode de votation”.
Si le but était de justifier la volonté de la HCC d’aller au fond, elle aurait très bien pu s’arrêter avant cette digression, cela n’aurait rien changé. Maintenant, elle vient de créer une jurisprudence qui peut être problématique pour les litiges à venir.
3 – Pourquoi saisir ?
Le cœur de la mise en accusation du Prezy, ce sont les motifs qui ont officiellement animé la colère des députés.
Du côté des députés
Ce sont les points sur lesquels les députés ne se sont pas montrés avares en mots. Si ceux-ci avaient plaidé en 5 minutes, voici ce qu’ils auraient dit : “ Le Prezy a violé, voire méprisé, de façon grave, répétée et inconsidérée la Constitution, car :
- il a violé le principe de la laïcité de l’État en confiant aux soins de la FFKM la mission de réconciliation nationale et, pire, en ayant signé la résolution finale ;
- il n’a pas réussi à mettre en place la HCJ dans le délai imparti de 12 mois – il manque les représentants de la HCDDED et ceux du Sénat -, alors que l’AN avait déjà voté la loi constituant la HCDDED ;
- il a violé le principe de la séparation des pouvoirs en organisant des rencontres officielles entre membres de l’exécutif et ceu
x du législatif ; - il a manqué à son devoir de promulgation des lois – qui est, sauf exception, une formalité dans le processus de création des lois – tel que l’exige l’article 59 de la Constitution ;
- il a promulgué une ordonnance – sorte de loi présidentielle qui se passe des services du législatif – portant organisation et fonctionnement de l’AN((ordonnance nº 2014-001 du 18 avril 2014)), en violation avec l’article 79 de la Constitution((Les règles relatives au fonctionnement de l’Assemblée nationale sont fixées dans leurs principes généraux par une loi organique et dans leurs modalités par son règlement intérieur. Le règlement intérieur est publié au Journal officiel de la République.)), alors que l’AN était déjà installée depuis belle lurette ;
- l’article 5 de la Constitution((L’organisation et la gestion de toutes les opérations électorales relèvent de la compétence d’une structure nationale indépendante)) exige que tout acte d’organisation et d’administration concernant des opérations électorales relève de la compétence de la CENI-T, qui est une structure indépendante, alors que le Prezy a consenti à ce que le gouvernement promulgue 2 décrets((décret nº 2015-617 du 1er avril 2015 fixant les modalités d’organisation des élections communales et municipales et décret nº 2015-630 du 7 avril 2015 modificatif)) fixant les modalités d’organisation des élections communales et municipales ;
En conséquence, le Prezy n’est plus “digne d’exercer la fonction suprême et a violé le serment qu’il a donné lors de son investiture à Dieu, aux ancêtres et au peuple Malagasy” – ce qui me rappelle étrangement Mushu dans le film Disney Mulan lorsqu’il disait : “Déshonneur ! Déshonneur sur ta famille ! Déshonneur sur toi ! Déshonneur sur ta vache !” -. ”
Du côté du Prezy
Si les avocats avaient plaidé en 5 minutes, voici ce qu’ils auraient dit :
“
Concernant les fondements juridiques de la mise en accusation
– À titre de rappel, la mise en accusation ne peut être réalisée qu’en cas de haute trahison, de violation grave, ou de violations répétées de la Constitution, de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. –
- “La haute trahison s’analyse comme le fait de porter les armes contre la République ou de s’allier à une puissance étrangère contre les intérêts de la nation” – il s’agit de la conception pénale de la trahison – .
- “La violation grave ou les violations répétées de la Constitution s’analysent comme des atteintes graves aux principes fondamentaux de la République et de la démocratie”
- “Les manquements aux devoirs du Président de la République s’analysent comme des comportements indignes de sa charge” – un peu comme le cas DSK -.
En conséquence, aucun argument des députés ne tient la route, “même de loin”.
Concernant des arguments en vrac des députés
- Sur la question de la violation de l’obligation constitutionnelle de mettre en place la HCJ dans le délai de 2 mois((article 167 de la Constitution)), le Prezy a effectué son devoir constitutionnel dès lors qu’il a invité les instances compétentes à désigner les membres qui composeront la HCC dans ce délai.
- Sur l’atteinte au principe de la laïcité de l’État et le dialogue avec le FFKM, encore une fois, c’était juste un verre et on a juste parlé ! Techniquement, je n’ai rien fait ! Techniquement !
- Sur la question de la promulgation de l’ordonnance relative à l’AN((ordonnance nº 2014-001)), ordonnance qui, à titre de rappel, régit l’organisation de l’AN, l’article 165 de la Constitution dispose que “les textes à caractère législatif relatifs à la mise en place des institutions et organes ainsi que les autres lois d’application prévues par la présente Constitution seront pris par voie d’ordonnances”. De plus, la HCC a déclaré cette ordonnance comme conforme à la Constitution. ”
Ce que pense la HCC
– Sur le respect de la laïcité de l’État
La HCC rappelle que la “laïcité de la République repose sur le principe de la séparation des affaires de l’État et des institutions religieuses et de leurs représentants”((article 2 de la Constitution)) et rappelle notamment le principe des libertés religieuses qui en découle. En conséquence, du fait de cette liberté religieuse, l’initiative et la participation du FFKM au processus de réconciliation nationale – ce serait donc un émolument de cette liberté religieuse – ne constituent pas une violation grave de la Constitution.
AN : 2, Prezy : 1.
– Sur la haute trahison
Il semblerait que le droit malgache dispose maintenant d’une définition – quoique trop floue à mon goût – de la haute trahison : “Le crime de haute trahison est un crime d’une certaine gravité qui est de nature à porter atteinte à la vie de la nation et de l’État en général”.
Faute de texte, la Cour va juger souverainement si les faits pour lesquels le Prezy est mis en accusation sont constitutifs ou non de haute trahison. Ainsi sur la question de la signature des travaux de la réconciliation nationale indiquant notamment la dissolution des institutions de la République, la HCC dispose qu’une telle signature constitue une simple authentification des résolutions qui ne revêtent pas le caractère d’un acte public et ne disposant pas de force contraignante. Il ne risque donc pas d’y avoir de haute trahison si le Prezy se mettait à dissoudre l’AN, du moment qu’il respecte la Constitution. Dans tous les cas, pour le moment, il n’y a pas de haute trahison.
AN : 2, Prezy : 2.
– Sur la non-promulgation et la promulgation tardive des lois
C’est la partie la plus amusante de la décision de la HCC. On s’aperçoit en fait que lorsque les députés reprochent au Prezy de ne pas avoir promulgué des lois en temps voulu, c’est parce que c’étaient des lois jugées inconstitutionnelles par la HCC ! d’une part ; et d’autre part… que l’une de ces lois est une loi accordant des droits et privilèges aux fonctions des députés((Décision 09-HCC/D3 du 28 janvier 2015)) !
Ils ont osé se plaindre de la non-promulgation d’une loi inconstitutionnelle qu’ils ont écrite afin de se donner des privilèges !!!
Entre nous, après le fou rire que j’ai eu à la découverte de cette particularité de leur argumentation, j’ai dû reconnaître qu’ils étaient “bien couillus” si vous permettez l’expression. Je tire mon chapeau bien bas devant tant d’audace.
AN : 2, Prezy : 3.
– Sur la non-mise en place de la HCJ
Lorsque le Prezy devait mettre en place la HCJ dans le délai de 12 mois, et qu’il n’a visiblement pas réussi, le Prezy était tenu à une obligation de moyen et non une obligation de résultat.
Une obligation de moyen, pour ceux qui n’ont pas fait deuxième année de droit et pour faire simple, c’est une théorie qui considère qu’une personne a réalisé sa part d’un contrat – son obligation – à partir du moment où il aurait fait tous les efforts possibles, même s’il n’a pas réussi. C’est le cas par exemple d’un avocat qui va plaider : même si le client va droit en prison, il aura ses honoraires. C’est le cas également d’un médecin : même si le patient mord la poussière, il aura ses honoraires.
De l’autre côté, une obligation de résultat, vous l’aurez deviné, c’est le raisonnement inverse. Peu importe les efforts, seul le résultat compte. C’est le cas par exemple de la livraison express
de pizza : le client n’a pas à se soucier du fait que le livreur ait percuté le chat de la voisine et ait dû l’emmener d’urgence au vétérinaire ; si la livraison n’est pas faite en 30 minutes, la pizza est gratuite !
Pour revenir au cas d’espèce, le Prezy devait juste démontrer qu’il avait fait tout ce qu’il pouvait pour installer la HCJ, notamment inviter les institutions à effectuer toutes les nominations requises, et il était libéré de son obligation ; ce qui était chose faite .
AN : 2, Prezy : 4.
– Sur la violation de l’article 5 alinéa 2 de la Constitution
– Sur le non-respect de l’article 39 de la Constitution
Ces deux paragraphes ont été suffisamment cours et clairs dans la décision pour, je pense, ne pas soulever de questionnement particulier. Personnellement je n’ai pas grand-chose à y ajouter à part : AN : 2, Prezy : 6.
– Sur la violation du principe de la séparation des pouvoirs
Il s’agit du dernier “grand” point de tension dans le débat : l’accusation par l’AN d’une immixtion de la Présidence dans le pouvoir législatif, qui se serait manifesté concrètement par la réception officielle de députés par la Présidence. Et bien, croyez-le ou non, mais la HCC a rappelé que le principe de la séparation des pouvoirs n’oblige pas les deux camps à s’enfermer chacun dans son bunker pourvu que l’on soit loin les uns des autres, et que “le Président de la République peut rencontrer aussi bien les députés de sa majorité que ceux de l’opposition”.
AN : 2, Prezy : 7.
En conséquence, la HCC décide que … oh, il y a autre chose ?
En effet, toujours pour ceux qui n’ont pas lu la Décision, ou qui n’ont pas spécialement relevé cette partie, la HCC a rajouté, avant de prendre sa décision, l’allocution suivante : “Considérant qu’en vertu de sa fonction de régulation des institutions de la République, la Haute Cour Constitutionnelle se doit de déployer les voies et moyens utiles et nécessaires pour ne pas paralyser le fonctionnement régulier de l’État […] Que dans l’intérêt supérieur de la Nation et de la République, tout doit être mis en oeuvre pour le fonctionnement régulier de l’État.”
Tout le monde est libre de son interprétation sur le sens et le poids d’une telle considération juste avant la conclusion. Certains y verront une belle harangue pour réveiller la fibre patriotique en chacun de nous, après tout, quel vocable plus beau y a-t-il que l’”intérêt supérieur de la Nation” – quoique c’est aussi l’excuse des États despotiques – ; cependant, je ne peux m’empêcher de penser qu’il s’agisse du paragraphe de trop, outre le ressentiment d’une défaite cuisante sur le fond, qui a permis aux députés de crier encore aujourd’hui à la manipulation du droit par la HCC et à la décision relevant plus de considérations politiques que juridiques. Pour ma part, j’aime y voir un mea culpa sur les inexactitudes qu’ils auraient pu formuler de temps à autre au cours de ces 13 pages, inexactitudes motivées par la recherche de l’intérêt supérieur de la Nation ; et je pardonne volontiers.
En conséquence, la HCC décide :
Article 1er : La demande des requérants est recevable. Article 2 – La demande est rejetée comme non fondée.
Épilogue : 1 semaine plus tard
J’ignore ce qu’il en est des autres, mais je trouve qu’il est désagréable de se lever le matin avec une Assemblée Nationale qui, la veille, annonce vouloir traduire en justice les gardiens de la Constititution. Alors qu’au matin, on aspire légitimement à un bon café et un mofo gasy en toute tranquillité, voilà que les journaux se mettent à relayer les palpitantes aventures de nos courageux députés qui se décident à montrer le bon exemple et se mettre à respecter scrupuleusement l’État de Droit et la Démocratie. Autant je salue des députés qui, pour reprendre la blague populaire, se mettent enfin à travailler, autant il est difficile de ne pas s’horrifier devant l’accomplissement d’un député furieux d’avoir perdu au jeu des procès – encore heureux qu’ils n’aient pas joué au Monopoly -.
Des députés accusent la HCC de manipulation de la loi, de décision politique, etc. Et je suis d’accord ! Oui, il y a eu, à mon sens, une interprétation partiale du droit à un moment de la décision de la HCC ! Mais, contrairement à ce qu’ils affirment volontiers, le bénéficiaire de ce parti-pris n’était pas la Présidence, mais l’Assemblée Nationale !, au moment où la HCC reçut leur requête de mise en accusation et le reste de la procédure mal fagotée.
Messieurs les Députés, bien que vous refusez d’y croire, l’État de droit a été respecté, même si elle a été quelque peu écorchée dans la forme.
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… et dire qu’ils ont vraiment osé se plaindre de la non-promulgation de la loi inconstitutionnelle qu’ils ont rédigée pour s’octroyer des privilèges ! Ah ! Ils n’ont vraiment pas froid aux yeux ! …