Le pacte d’irresponsabilité

Aventurons-nous une nouvelle fois dans l'art de deviner ce que pense la HCC, cette fois-ci, lorsqu'elle parle du Pacte de responsabilité. Une nouvelle création juridique de la part de l'une des Hautes Juridictions malgaches prête à un peu de réflexion, surtout lorsque ladite Cour elle-même ne souhaite pas y réfléchir. Bien entendu, la divination, c'est du charlatanisme, mais au moins, j'ai recours au droit pour le faire. C'est déjà pas mal.

Cet article est une republication de l’article original publié sur la version antérieure de Lexxika.com.
Il n’est donc plus d’actualité, mais vous pouvez y trouver des réflexions et des points de Droits qui restent encore valides et pertinents.

 

Un certain nombre de personnages, si on en croit les journaux, semblent miser la prospérité future du Pays – ainsi que la leur – sur cet acte juridique dont on ne sait finalement pas grand-chose : le « Pacte de responsabilité ». Inventé par la HCC dans sa décision relative à la mise en accusation du Prezy, la seule définition à la disposition des gens qui-aiment-se-casser-les-roubignoles-à-lire-des-trucs-qui-n’interessent-personne – les juristes donc – est l’article 5 de ladite décision, ci-après retranscrite :

« Les institutions de la République œuvrent en faveur d’un pacte de responsabilité garant du bon fonctionnement de l’État, dans le cadre de la Constitution en vigueur ».

La définition est mince et la HCC n’y semble pas vouloir apporter plus de précision. Un journaliste s’étant hasardé à poser la question s’y est d’ailleurs brûlé les ailes, si l’on en croit son implacable répartie reportée ci-après :

« Questionné sur le sujet, Jean Eric Rakotoarisoa, en réponse, a lancé un rire moqueur sans plus ».

Le rire moqueur sans plus ! L’affront ultime ! Heureusement qu’existe la liberté d’expression pour se combler d’une juste vengeance. En fait, lasse de se voir solliciter de part et d’autre le manuel de sa dernière invention, la HCC dans une décision rendue le 30 septembre 2015 sur une requête en interprétation du fameux article 5 a statué que :

« en tout état de cause [selon l’article 119 de la Constitution],
– le pouvoir d’interprétation de la HCC est strictement limité à celle d’une disposition de la Constitution ;
– qu’aucun article de la Constitution ne lui donne le pouvoir d’interpréter ses propres décisions ; […]
– que la Constitution ne contient aucune clause générale de compétence chargeant la Cour de résoudre les difficultés d’interprétation de ses décisions ou avis. »

C’est un peu comme dire, dans un langage moins solennel : « démerdez-vous quoi ! C’est pas à moi de comprendre ce que j’écris aussi ! »

Ainsi, face à une nouvelle inconnue de l’armement juridique malgache, tout le monde y va de sa petite recette. Beaucoup semblent penser qu’un tel acte comportera une promesse de non-dissolution de l’AN de la part du Prezy et vice-versa. Certains marchands de lait, en ordonnant incitant leurs députés-vassaux à signer le pacte, y voient une opportunité de contraindre le gouvernement à autoriser la réouverture de leurs boutiques cavalièrement malmenées au cours de la crise.

Enfin, d’autres y voient un acte d’ores et déjà inconstitutionnel.

Je vous propose alors de voir ensemble ce que peut être/contenir ce fameux pacte de responsabilité en apportant un peu de droit dans ce fatras politique. Ainsi, lors de votre future soirée-beuverie à Mahamasina, vous pourrez dire au gars-trop-saoul-qui-parle-toujours-de-politique : « Je sais ce que c’est *petit rire moqueur sans plus*. »

Partons, comme le prodigue tout professeur de droit civil au sujet de votre première rédaction juridique, par la définition. Toujours commencer par la définition.

Définition

Le pacte de responsabilité est, par analogie à l’article 5, un acte mis en œuvre par les Institutions de la République, destiné à garantir le bon fonctionnement de l’État, dans le cadre de la Constitution en vigueur.

Acte juridique

Un acte juridique est, selon la définition communément admise par le droit français, reprise plus tard par le droit malgache, toute manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit. Il désigne :

  • tantôt le negocium, qui est le contenu de ce qui est convenu,
  • tantôt l’instrumentum, qui est le moyen ou l’objet servant à consigner ce contenu.

Si vous perdez votre latin car je vous parle chinois – ba dum tsss -, considérons l’exemple suivant :

1 – Lorsque vous achetez du pain chez l’épicier, un acte juridique((dans le cas d’espèce, une vente)) a été accompli dans le sens de negotium. En effet, vous avez reçu du pain en échange de l’argent que vous avez donné à l’épicier ; et cet échange crée des obligations entre vous et l’épicier. Ainsi lorsque, dix minutes plus tard, vous aurez raté votre sandwich, car le pain était rassis, l’épicier sera tenu responsable pour vous avoir vendu ce mauvais pain.

2 – Cependant, rien ne pourra prouver que vous l’avez acheté ce pain chez lui. C’est pour cela qu’il vous faut consigner l’opération dans une facture qui est l’acte juridique au sens de l’instrumentum. La vente du pain, negotium, est matérialisée dans la facture, instrumentum, qui prouvera que vous avez reçu du pain contre de l’argent.

Une fois cette particularité du droit français comprise, il faut savoir que tout ce qui produit du droit est un acte au sens de « negotium ». C’est l’instrumentum qui change. En pratique, établir un acte est simple : on connaît le negotium, autrement dit le contenu de l’acte, que l’on adapte selon les normes de l’instrumentum. Par exemple : on sait que l’on va acheter du pain, l’instrumentum sera alors une simple facture ; on sait que l’on veut diviser son patrimoine au bénéfice du plus méritant, il faudra établir un testament ; etc.

Dans le cadre du pacte de responsabilité, la logique est inversée : on connaît l’instrumentum, et non le negotium. Or, normalement, l’instrumentum est la conséquence du negotium. Pour illustrer un peu : normalement, on se dit d’abord :

« Tiens, je veux aller à Toamasina – negotium – ; je prendrais la voiture – instrumentum – pour faire le trajet. »

Dans le cas d’espèce, la HCC nous force à nous dire :

« Je veux prendre la voiture, mais je ne sais pas où je veux aller ».

Et dans ces circonstances, on finit par tourner en rond à minuit à Analakely, renter déconfit à la maison avec 20 000 Ar en moins d’essence.

En conséquence, il est tout à fait clair que personne ne comprend rien à rien.

Précisons également que normalement, les Institutions de l’État((à l’exception des juridictions)), ça communique exclusivement à coup de lois et de règlements. Ce sont les instrumenta((pluriel d’instrumentum)) que la Constitution les autorise à employer dans un cadre interne. Il existe bien les contrats d’État ou encore des conventions internationales, mais ils impliquent un acteur externe à l’État. On me dira également que l’État réalise bel et bien des actes juridiques, par exemple dans le cadre des marchés publics, mais il s’agit là de l’Administration et non des Institutions – deux entités à distinguer – qui, selon la Constitution((Article 40 disposant des Institutions de l’État, Article 55 disposant des pouvoirs du Président, Article 63
disposant de la mission du Gouvernement et Articles 68 et suivants disposant du pouvoir législatif)), légifèrent, règlementent ou arrêtent.

Mais soit, jouons le jeu. Ne nous rebutons pas de l’inconnu, partons du contenant pour arriver à un contenu. Faisons fi de ce que peuvent ou ne peuvent faire les Institutions selon la Constitution car de toutes les façons, c’est une création de la HCC et qu’en matière de Constitution, personne ne s’y connaît mieux et donc, que je me trompe lourdement.

N’est pas légal le pacte qui….

Une particularité du pacte, c’est qu’il doit être établi « dans le cadre de la Constitution en vigueur ». C’est sûr ce dernier point qu’on peut deviner ce que le pacte peut contenir, mais surtout ce qu’il ne peut PAS contenir.

Ne respecte pas la Constitution

Le premier fantasme politicien veut que le Prezy s’engage à ne pas recourir à sa faculté de dissoudre l’AN. Outre l’offense à l’équilibre des pouvoirs, en reformulant un peu, on demande en fait à la Présidence de renoncer à un pouvoir constitutionnel par une convention qui est, non seulement, fragile en matière de constitutionnalité, mais dont la portée exécutoire se trouve vraisemblablement en dessous de la Constitution dans la hiérarchie des normes du droit malagasy.

Pyramide de Kelsen

Bien qu’on ignore la portée du pacte de responsabilité au sein de la pyramide, je veux bien qu’elle se situe au niveau des lois ou même des conventions, mais pas de la Constitution non plus !

En conséquence, je pense qu’il y a un certain nombre de personnes qui rêvent à l’excès. Une telle disposition est de facto inconstitutionnelle.

Crée du droit

Quid des enjeux particuliers ? Il s’agit ici de la question de la situation des marchands de lait et autres avantages particuliers des protagonistes-victimes de la crise ? Comment est ce que l’on peut justifier, dans une démocratie, qu’un groupe des personnes contracte pour et au nom de tout un peuple, et de stipuler par la suite des dispositions qui n’intéressent que des particuliers ?

On pourrait aisément dire qu’il ne s’agit pas d’une pratique légitime. Ce sera d’ailleurs ma première pensée. Cependant, des textes légaux qui édictent des mesures particulières et nominatives ne sont pas choses nouvelles. C’est, par exemple, le cas d’un arrêté accordant un permis de construire ou un arrêté de nomination dans la fonction publique. Ainsi, même si la disposition concerne une personne bien précise, il s’agit moins d’une règle juridique que d’une décision prise en application des règles juridiques générales. Ainsi, dans le précédent exemple : des lois définissent les conditions générales de l’attribution d’un permis de construire ; si une personne remplit les conditions, elle bénéficiera naturellement du permis.

En conséquence, pour revenir à nos moutons, si l’on souhaite justifier dans un cadre constitutionnel et démocratique ce type de négociations, on pourrait arguer qu’il s’agit d’un accord entre le Gouvernement, Institution disposant de l’Administration, et d’un particulier particulièrement lésé par l’État Malagasy à cause du refus d’une prérogative qu’il est en droit de réclamer.

Toutefois, de telles conventions ne seront légitimes et légales que si elles se limitent à l’octroi de droits que le bénéficiaire peut initialement revendiquer. Une convention qui accorderait des droits nouveaux constituerait une rupture de l’égalité devant la loi et sera définitivement illégale.

De plus, je tempère une seconde fois mes dires, car le pacte concerne uniquement les Institutions de la République. Or, 2 personnes publiques peuvent-elles légalement s’accorder au bénéfice d’une personne privée tierce au contrat ? Dans le droit privé, cela se voit et c’est possible((exemple : l’assurance-vie des parents au bénéfice des enfants)), dans le cas d’espèce, je ne saurais vous donner de réponse sans rajouter 2 pages supplémentaires.

Ne parle pas de la Constitution

Il convient également de tenir compte d’une dernière particularité du pacte : sa cause, qui est la garantie du bon fonctionnement de l’État. Un contrat dispose d’une cause, qui est la raison pour laquelle les parties contractent. Théoriquement, le contenu d’un contrat doit toujours aller dans le sens de sa cause. Autrement dit, tout ce qui sera écrit dans le pacte de responsabilité devra être un pas pour le bon fonctionnement de l’État. De ce fait, si le pacte devait contenir une disposition en faveur d’un particulier, je veux bien, éventuellement, un peu à contrecœur, que cela puisse être considéré comme un pas pour « le bon fonctionnement de l’État », mais ce serait aussi avouer que les intérêts d’une personne privée seule déteignent sur les Institutions de la République. Et un État qui est fortement influencé par une personne seule n’est pas une République, c’est une Dictature.

Quoi penser de tout ça ?

En conséquence, pour récapituler, le pacte de responsabilité pour être démocratique et conforme à la Constitution devra :

  • se limiter, dans ses parties contractantes, aux Institutions de l’État.
  • se limiter aux dispositions assurant le « bon fonctionnement de l’Etat ».
  • ne pas contenir de dispositions de limitation ou de dépossession de droits constitutionnels.
  • ne pas octroyer de droits particuliers à des personnes privées.

Je vois un tel pacte comme une convention reprenant et réaffirmant les dispositions de la Constitution et, éventuellement, rappelant aux parties leurs missions et devoirs respectifs, notamment sur le cas de certaines personnes privées. Cependant, comme je vois mal des sanctions juridiques tomber en cas d’irrespect du pacte – l’État ne se sanctionne pas elle-même –, celui-ci ne pourra engager qu’une chose : la dignité des Institutions et, pourquoi pas, l’honneur des signataires. Une sorte de gentlemen’s agreement. Au final, rien de bien affriolant.

A quoi ça sert du coup ?

J’aimerais enfin partager les réflexions d’un ami sur la question du pourquoi du pacte de responsabilité. Pourquoi diable une telle exigence de la part de la HCC ?

Un partage des pouvoirs étatiques entre rivaux n’est pas chose rare dans la sphère politique. C’est presque une condition de l’équilibre des pouvoirs. Aux US par exemple, Barack Obama, issu du parti démocrate, a présidé depuis 2010 avec une Chambre des Représentants à majorité républicaine – donc défavorable – et, depuis 2014, avec un Sénat qui lui était devenu également hostile. En France, de 1997 à 2002, Jacques Chirac, alors président issu de la Droite, a dû se mettre à travailler avec Lionel Jospin, premier ministre issu de la Gauche. De ce que j’en sais, sans être particulièrement agréable, il n’y a pas non plus eu crise majeure durant ces moments de cohabitation.

Du côté de Madagascar, nous avons eu un président qui s’était débarrassé de son premier ministre issu de l’opposition au bout de 9 mois de gouvernance et qui a fait l’objet d’une mise en accusation pour déchéance au bout d’un an et demi de présidence. Quelque chose dans l’air – et je ne dirais pas : les politiciens, tous des pourris – fait que la machinerie ne tourne pas là où elle fonctionne sans trop de soucis ailleurs.

Connaissant la personne qui m’a fait part de cette réflexion, il pointerait du doigt les insuffisances de la Constitution et je lui fais un clin d’œil. De mon côté, je ne pense pas que la Constitution soit à remettre en cause à ce sujet : les échecs de la cohab
itation malgache viennent plutôt du non-respect de cette Constitution. Et à force de laisser des gens changer la Constitution comme on change de chemise, on s’étonne encore que celle-ci n’inspire plus le respect.

Je soupçonne ainsi que l’idée du pacte de responsabilité de la part de la HCC est un juste rappel des obligations des Institutions – mais surtout des acteurs de ces Institutions – sur leurs responsabilités envers la Constitution. Si le pacte n’est censé être qu’une reprise de certaines dispositions de la Constitution, ce ne sera pas moins une question de gesticulations juridiques((faire semblant de faire quelque chose de juridiquement important alors que bof)), qu’une question d’éducation des Institutions aux fondamentaux de leurs devoirs. En se concertant et en engageant leurs paroles, ils devront accepter plus facilement les règles du jeu. Après tout, il est plus commode de respecter une loi que l’on s’impose plutôt qu’une loi qui nous est imposée.

Partager :

Facebook
Twitter
Email

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pourrez également apprécier

Loïc H. Kwan

USA! USA!

Les élections de 2016 pour la présidence américaine ont commencé il y a quelques jours. Et face au dilemme Hillary – Trump, on entend de plus en plus de gens, déconcertés, se dire: « mais ils n’ont qu’à choisir un autre candidat bon sang ! ». Mais la réalité est-elle si simple? Est-elle vraiment si simple?