Mode d’emploi de l’étudiant de droit en France – Partie 2 : La pédagogie à la française

Second billet à destination des étudiants désireux de se faire une expérience en France, découvrez cette fois-ci l'esprit général des cours qui vous attendront et les méthodes sadiques qu’emploieront les enseignants afin de vous évaluer. Si quelconque appréhension hante les nuits précédant votre départ, cette lecture sera celle qui vous permettra de retrouver le sommeil.

J’ai eu l’occasion, il y a peu, de retrouver une vieille amitié faite sur les bancs de l’université d’Ambanidia au cours de vagabondages sur les quais parisiens. C’est toujours une agréable surprise de retrouver un visage familier dans des lieux auxquels on ne s’y attend pas, et dans ces situations, il est de convention tacite de prendre un café tout en échangeant sur le bon vieux temps. Rituel que l’on s’est empressé de respecter.

Mon cher Rakoto est, et sera pour les mois à venir, ce que l’on appelle ici un GVT, « gasy vao tonga ». Petit sobriquet donné aux compatriotes qui connaissent pour la première fois le monde au-delà des eaux de l’océan Indien, et qui ne manqueront certainement pas d’être auteurs de maladresses liées à la condition de Malgache de Madagascar. Il y avait, il y a encore peu, un site internet recensant avec humour les différents manquements sociaux des GVTs, intitulé viedemalgache.fr, mais celui-ci semble avoir disparu du réseau. Empruntant généreusement la formule mise en œuvre par « viedemerde.fr », jusque dans sa conception graphique, peut-être le site a-t-il fait l’objet d’une réclamation pour contrefaçon. Encore est-il que l’esprit est resté et que l’idée de recenser les petites habitudes malgaches qui ne seraient pas toujours élégantes continue sur twitter et facebook, avec les pages @ViedeMalgache. Je vous propose un exemple de GVT-isme afin de clarifier mes propos ; celui-ci provient de la page facebook :

« Une Gasy Voa Toga va au McDo, prend du coca et demande une “pipette”. Le vendeur ne comprend pas. Elle insiste pour avoir sa pipette. Oops, il fallait dire une “paille”. »

Par analogie, toujours pour illustration, le fait de discuter au téléphone avec une sonorité élevée est un GVT-isme ; le fait de demander à ses camarades non malgaches s’il y a du « caca pigeon » à l’apéro est un GVT-isme ; le fait d’avoir peur de prendre l’escalator parce que ce machin-là est trop dangereux est un GVT-isme, etc., etc.

Ainsi, c’est avec un étudiant GVT que je prends un verre en cet après-midi ensoleillé de mars. Nous avons beaucoup parlé. La moitié de l‘après-midi a été l’occasion pour nous de revisiter nos souvenirs communs, souvenirs principalement constitués de bêtises et autres pitreries ; l’autre moitié, nous l’avons passé à échanger sur des sujets plus décents. C’est alors avec délectation que notre discussion s’est tournée à un moment vers les premiers pas de l’étudiant malgache en France, et dont l’évocation me ramène à ma propre condition de GVT, il y a trois ans de cela.

L’étudiant GVT, c’est un personnage préoccupé. Il est tenu d’assimiler un nombre important d’informations en bien peu de temps et se retrouve généralement seul à affronter l’adversité pour la première fois de sa vie. Hors des contrariétés purement matérielles, l’étudiant GVT est également un masochiste mental. Il aime bien, pour quelques raisons que ce soit, se rajouter du stress, des peurs, des doutes quant à ses facultés intellectuelles et sur l’intérêt de sa présence en France.

Nous avons relevé à un moment de nos débats que l’une des principales préoccupations des étudiants GVT était le souci de ne pas paraître bête face à ses condisciples, à défaut de paraître intelligent. Il ne fallait surtout pas risquer de passer le restant de l’année universitaire en paria parmi ses pairs. C’est une peur que j’ai personnellement ressentie à mes débuts et que j’aurais entendue de nombreuses fois de la bouche de mes compagnons de fortune – ou d’infortunes – de l’aventure française.

Très souvent, les causes de cette remise soudaine en question sont les mêmes :

  • une volonté de faire ses preuves,
  • un sentiment d’obligation sociale, morale et administrative de réussir son année
  • et la peur de l’inconnu.

Je m’explique.

1 – La volonté de faire ses preuves, c’est la première prétention de celui qui fait ses études en dehors des universités malgaches. J’ai beaucoup entendu parler du désir d’accéder à l’indépendance, familiale et financière et du fantasme d’un retour triomphant au pays, apportant richesses, sophistication et idées révolutionnaires. Ce qui est drôlet, c’est que ce doux fantasme n’empoigne que les étudiants issus de pays peu développés. Après tout, malgré la pauvreté du pays, ils savent que tout y est à construire et nourrissent secrètement l’envie de rejoindre le panthéon des bienfaiteurs du pays. Pour les étudiants français, c’est quelque peu différent. Ces derniers ne manquent pas d’ambition, loin de là. La bonne majorité envisage la grande carrière, la vie aisée ou la renommée ; toutefois, peu rêvent, à 20 ans, d’être l’instigateur du énième essor de la France. La prétention d’une telle idée n’a d’égale que la sottise de celui qui oserait y penser.

Mais à Madagascar, c’est différent. Encore une fois, tout y est à construire ! Et si prétentieux que soit ce besoin de faire ses preuves, s’il est le chien de garde empêchant la fuite d’un esprit fertile vers des terres autres que malgaches, je suis convaincu qu’il doit être cultivé. J’encourage l’anxiété qui en découle naturellement, car ce sentiment qui pèse sur l’épaule s’appelle tout simplement la responsabilité. « Le savoir est pouvoir » écrivait Francis Bacon et « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » disait le philosophe du 21ème siècle préféré des bacheliers de 2002 – n’essayez pas de reproduire cette démonstration au cours d’un examen de philosophie, vous aurez une note épouvantable.

2 – L’obligation sociale, c’est un poids déjà plus évident à Madagascar, mais qui n’a pas lieu d’être en France. Je pars d’un postulat simple que j’ai eu l’occasion de constater dès les études secondaires : redoubler, c’est la loose. Il ne s’agit pas uniquement d’un évènement contrariant à titre personnel, ce n’est pas loin d’être une condamnation sociale à Madagascar. Celui-ci qui, plus doué au sport qu’aux chiffres et aux lettres, a le malheur de ne pas obtenir la moyenne, entre pour le restant de ses études dans le cercle peu envié des « redoublants ». Titre peu glorieux qui oblige la personne à changer d’établissement pour espérer retrouver un plumage de blanche colombe.

En France, du moins au sein des universités, le raisonnement est à l’inverse. Ceux qui auraient recommencé une année d’étude pour quelconques raisons, loin de porter de bonnets d’âne sur leurs têtes, sont salués pour leurs patiences et leurs ténacités. Des traits de caractère fortement appréciés dans un pays au fort passé de résistance.

Ainsi, quand bien même seraient difficiles les études et proche l’échec, en France, vous avez le droit de vous tromper. Tant que vous en tirez une leçon autre que « ce n’est peut-être pas fait pour moi », vous pourrez toujours relever la tête, persévérer et aller de l’avant.

3 – L’obligation morale, c’est la pression que se donne l’étudiant pour racheter l’appui de sa famille dans ses études. Elle varie volontiers selon l’aisance financière des parents, leur participation dans les études et l’affinité partagée. Ainsi, ce sentiment peut être quasiment nul pour certains, tout comme il peut être le moteur de la détermination de l’étudiant. Je n’ai pas de commentaire particulier sur le sujet. Très variable, très subjective, sa gestion dépend entièrement de la personnalité de chacun. Je l’ai mentionné à l’endroit de ceux qui n’ont pas encore quitté le pays. Il s’agira, je n’en doute pas, d’une pression de plus que vous aurez à gérer au quotidien. La bonne nouvelle c’est que celle-ci, contrairement à ce que l’o
n peut supposer, est également une préoccupation des étudiants français. Ce n’est pas tout à fait une « bonne nouvelle », mais l’équité est toujours apaisante. Bon nombre d’entre eux connaissent cette culpabilité et une certaine partie n’hésite pas à l’atténuer en exerçant un emploi étudiant. Certains d’une manière exemplaire, en finissant majors de promotion et employés du mois ; d’autres d’une manière raisonnable, le strict nécessaire afin d’arriver à une semi-indépendance tout en se donnant le temps d’étudier ; parfois d’une manière minimaliste, des missions ponctuelles dont les rétributions serviront de financement aux prochaines soldes ; et pour certains, de manière malheureusement excessive, en privilégiant le travail aux études. Ces derniers sont les plus susceptibles de décrocher au cours de l’année.

4 – La dernière des « obligations » précédemment annoncées, l’obligation administrative, est la plus menaçante. C’est la peur annuelle du renouvellement du visa et du sempiternel « marchera, marchera pas ». En effet, en cas d’échec, non content d’accuser le coup face au gâchis de l’année perdue, l’étranger risque aussi de se faire expulser ! Ce qui est, à mon sens, autrement plus inquiétant que le simple redoublement. Bien entendu, ce n’est pas le fond, le retour au pays, qui pose problème. C’est plutôt la forme qui dérange, le fait d’avoir fait l’objet d’une procédure qui confirme son échec.

Heureusement, ce ne sont que des demi-vérités. Car oui, l’expulsion – ou pour être juridiquement correct, la « reconduite à la frontière » – existe, et est utilisée plus que ponctuellement par l’administration. Toutefois, je pense personnellement que celle-ci est utilisée dans une certaine mesure et avec une certaine justice dans le cadre de visas étudiants. Les renouvellements de visa sont contraignants et les visites auprès des préfectures sont indubitablement chiantes – surtout en région parisienne. Cependant, les titres et autres autorisations de séjours sont accordés dans l’ensemble. Ainsi,

  • Si vous obtenez votre année, qu’elle soit réussie avec brio ou dans la douleur des rattrapages, vous serez bien sots de vous inquiéter et pouvez rejoindre le rang de ceux qui se plaignent de la lenteur de l’administration.
  • Si vous redoublez une première fois ou décidez d’un changement de cursus, vous pouvez garder votre calme. Votre demande devrait être reçue positivement par l’Administration qui admet quelque part un « droit à l’échec »((ce terme n’est mentionné nulle part dans aucun texte)). Seulement, n’essayez pas de vous plaindre de la lenteur de l’administration en plus.
  • Si vous redoublez une seconde fois, vous avez intérêt à démontrer clairement que vous pouvez réussir l’année suivante, en avançant par exemple la progression de vos notes((vous êtes passés de 5/20 à 9/20)).
  • Si vous avez triplé votre première année de droit après un bref passage en médecine, l’Administration se posera fortement la question du « caractère réel et sérieux de vos études »((c’est le vrai terme juridique)). Pour ceux qui, dans cette situation, arriveraient à démontrer ce caractère, tant mieux ! Mais pour le commun d’entre nous, je crains qu’il ne faille allumer quotidiennement un cierge à St-Jude, saint patron des causes perdues.

5 – Enfin, la dernière appréhension qui a été mentionnée dans ma liste de départ, c’est la « peur de l’inconnu ». Vous ne savez pas comment vos études se passeront, comment les professeurs vous traiteront, si vous arriverez à suivre les cours, si vous pourrez vous en tirer aux examens, etc., parce que vous n’avez aucune idée du fonctionnement des universités en France, et ce, malgré les sites internet qui montrent pleins d’étudiants souriants.

C’est ce dernier point que j’aimerais éclaircir à travers ce billet, après une introduction bien trop longue, car oui, j’aime bien les introductions trop longues. Si l’auto-flagellation morale dépend entièrement de la philosophie personnelle de chacun, le nouveau se découvre et la peur peut se briser. En conséquence, chers étudiants qui lisez ce billet dans l’espoir d’y trouver un ersatz de votre vie future, je vous remets en toute humilité ma propre expérience, celle de Rakoto ainsi que celles des autres aventuriers malgaches.

Préambule – De la sieste durant le cours de l’après-midi

J’avais pour habitude de piquer quelque peu du nez si par malheur un enseignant avait l’idée farfelue de placer un cours à 13 heures. Lorsque celui-ci prodiguait ses connaissances à un rythme insoutenable ou, au contraire, s’il rivalisait de vitesse avec ce que je pense être le débit de parole d’une tortue si celle-ci pouvait parler, c’était irrésistible, la chaleur étouffante de l’après-midi et la digestion du ravintoto du déjeuner aidant, je m’écroulais sur la table. C’est que, malgré ce manque apparent d’intérêt face au cours, dans ma jeune arrogance, j’étais persuadé de réussir malgré tout l’examen. Je préférais, si nécessaire, fournir un travail personnel de mon côté ; souvent au cours de la soirée précédant les tests. Cette logique a d’ailleurs porté ses fruits, petites, acides et rabougries, mais des fruits quand même ! J’arrivais à passer les évaluations théoriques, avec parfois le strict minimum, mais sans spécialement la sensation d’avoir fourni des efforts dantesques. Et pourtant, je voyais certains camarades lutter pour maintenir le niveau. Ma petite astuce qui me permettait d’atténuer les séquelles de mon incapacité à subir l’accumulation des connaissances débitées par l’enseignant, c’était les évaluations pratiques ; lorsque, ô miracle, l’enseignant proposait un devoir de recherche à rendre en guise d’évaluation. Je pouvais consacrer des après-midi entiers à m’informer sur le sujet, analyser et éclaircir la moindre variante et préparer sur plusieurs jours ma prestation oratoire. J’en suis alors arrivé à la conclusion que piètre récepteur, je trouve une certaine passion dans l’action, lorsque la possibilité de prendre les choses en mains m’est donnée. Cette méthode, je l’aurai gardé tout au long de mes études et, pour mon plus grand plaisir, ce sera le travail que l’on attendra plus tard du praticien.

En France, pour mon plus grand déplaisir, la tendance est aux cours magistraux et aux évaluations à coup de commentaires d’arrêts, ou de dissertations pour les plus suicidaires courageux.

I – De l’accumulation théorique des théories : les cours de droit.

Vous n’aurez absolument aucune différence dans la pédagogie générale entre les enseignants français et les enseignants malgaches. Tous deux sont investis de la même mission : vous faire découvrir la matière enseignée et s’assurer que vous aurez au moins les prémices des principes généraux de leur spécialité. Très souvent dans les deux cas, le cours sera dicté ou débité dans un ton favorisant la prise de note. Bien entendu, il y aura toujours les exceptions qui vont proposer un travail plus personnel, des recherches plus ou moins contrôlées avec un compte rendu devant la classe, mais la tendance est au cours magistral, spécialement au cours des premières années.

La logique est compréhensible : face à des centaines d’élèves((encore une fois, au cours des premières années)), il est difficile de proposer un travail personnel à chacun. La tendance pédagogique est alors aux cours magistraux, présenter les principes fondateurs, et aux étudiants la responsabilité de se perfectionner dans la lecture des grands auteurs. Ce discours, je l’ai entendu la première fois à Madagascar et je n’ai pu m’empêcher d’esquisser un sourire à l
’époque. Je me voyais mal lire un livre de 300 pages pour un cours et, en conséquence, me farcir plusieurs milliers de pages sur l’année, car tous les enseignants insistaient pour que l’on considère avec la plus grande gravité leurs matières. J’avais d’autres chats à fouetter, principalement pratiquer mon art de dépenser futilement mon temps, et pour soulager ma conscience, je me désolais de l’allure peu engageante de la bibliothèque.

L’étudiant en droit doit-il aimer lire ?

Une fois en France et en face du même discours, je n’ai pu que constater la perte de mon excuse de la vilaine bibliothèque. Les universités semblent être en compétition pour déterminer celle qui en a la plus belle, la plus fournie et la plus impressionnante – je parle toujours de bibliothèques -. De plus, comme certains d’entre vous ont déjà pu comprendre à la lecture de ce billet-ci, l’étudiant n’a même plus besoin d’aller à la bibliothèque, car, de chez lui, avec sa connexion internet, il peut accéder à la masse terrifiante d’informations prodiguées par les plateformes de documentation juridique.

Toutefois, cela ne change rien à la difficulté première de l’étudiant : la lecture des milliers de pages requises par les professeurs. Surtout que l’étudiant a également besoin de son temps pour les sorties beuveries entretenir son réseau social, les soirées plan-cul maintenir le feu de ses sentiments auprès de l’élu de son cœur et les après-midi jeux vidéos s’éduquer aux différentes expressions de la culture populaire contemporaine.

Et bien, je vous rassure, peu, bien peu d’étudiants lisent entièrement un ouvrage juridique. Au grand désespoir de mes professeurs, je ne connais aucun condisciple qui aurait lu l’intégralité d’un livre de droit au cours de ses études de premier et second cycle((je précise « de second cycle », car la lecture sera le passe-temps favori des doctorants de troisième cycle)). Les livres, et plus généralement la documentation juridique, leur serviront principalement à éclaircir les notions non saisies, à traiter un devoir précis, ou à faire de la veille. Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas de lire des ouvrages entiers, mais des extraits, des parties, des notions ou au mieux, quelques chapitres, et toujours sur des points précis.

Au cas où vous ne l’auriez pas encore remarqué, c’est EXACTEMENT le travail que vous faites déjà :

  • les recherches sur internet lorsque vous n’avez pas compris une notion,
  • la recherche d’une citation que vous pourrez utiliser comme phrase d’accroche ou comme punchline
  • la recherche d’une jurisprudence qui n’a pas été citée par le professeur pour gratter quelques points supplémentaires, etc.

La différence, c’est qu’au lieu de Wikipédia, vous aurez Dalloz, au lieu d’un livre poussiéreux de Maurice Hauriou datant de 1929, vous en aurez un de Guy Carcassonne datant de 2013, au lieu de l’arrêt de principe vieux de 50 ans, vous aurez le dernier arrêt datant de 2014, etc.

L’étudiant en droit français doit-il connaître le droit français ?

Certains se poseront des questions sur le changement de système juridique, la perte des repères concernant les lois, jurisprudences, voire, les notions. Si c’est le cas, je vous confirme la petite intuition que vous avez déjà dans l’esprit : le système juridique français est globalement le même que celui de Madagascar. Vous ne risquez pas d’être perdu. Vous retrouverez les 3 degrés de juridiction même si la nomenclature est différente par moments ; vous retrouvez les lois, les ordonnances, les décrets, les arrêts, les décisions de justice ; vous retrouverez les principes généraux bien connus et plusieurs fois éprouvés, etc.

La seule différence notable, c’est qu’au lieu de l’article 4 de la loi numéro 30-015 du 30 février 2015 sur les commerces à la sauvette, vous aurez l’article 1004 du Code du commerce. Si vous ne connaissez pas encore ce qu’est le Code, je vous invite à lire ce billet.

J’étais curieux et quelque peu effrayé lorsqu’il m’a été donné de constater la rapidité avec laquelle mes condisciples sortaient le numéro de l’article sur la responsabilité civile((1382 by the way)) lorsque la question leur était posée. Je redoutais qu’il me faille me souvenir des 1000 articles du Code civil pour être un juriste efficace, mais il s’agit au final d’une habitude qui s’acquiert à force d’utiliser et réutiliser l’article en question. Vous vous y ferez bien vite et constaterez tout aussi rapidement que les codes sont efficaces. Plutôt que de se demander si le titre d’une loi peut se rapprocher du sujet que l’on souhaite étudier – comme c’est le cas à Madagascar -, avec le recours aux codes, il suffit d’isoler la discipline concernée et de prendre l’ouvrage qui s’y réfère.

L’étudiant en droit doit-il étudier ?

Une fois la problématique des connaissances minimales requises éclaircie, un petit mot à ceux qui partagent mon incapacité à écouter tranquillement un cours assis sur des bancs. Je tiens à vous rassurer, dès que le nombre d’étudiants se réduit, donc à partir du Master, peut-être en Licence, les professeurs font montre de plus d’ingéniosité dans leur pédagogie. Vous aurez l’occasion – en tout cas, je l’ai eue – de rédiger des contrats, de résoudre des cas pratiques qui seront débattus durant les cours, de remplacer l’enseignant le temps d’une présentation, de simuler un procès, d’assister à un procès, etc. Beaucoup plus passionnant tout ça.

En attendant ces beaux jours, côté cours, vous serez aussi bien servi qu’à Madagascar, c’est-à-dire avec une cuisine que je n’apprécie pas toujours.

Une fois bien ancrée dans votre tête l’assurance que vous allez tout autant vous amuser dans l’apprentissage du droit français que celle du droit malgache, il y a lieu à plus de sérieux, lorsque solennel et silencieux, vous démontrerez dans une copie vierge toute l’étendue de ce que vous aurez retenu en une soirée de révision en catastrophe. Parlons maintenant des méthodes d’évaluations.

II – De l’expulsion peu pratique de ce qui est pratiqué : les examens.

Les examens, c’est la sempiternelle raison des veillées trimestrielles des étudiants. Il y aura toujours des farfelus qui auraient révisé quotidiennement les cours en plus d’avoir lu trois livres au cours du mois – et qui sont les exemples à suivre -, mais ne nous voilons pas la face, sans les examens, le commun des étudiants n’aurait jamais posé les yeux sur ses cours.

Lors de mes années d’études à Madagascar, les évaluations tournaient principalement autour de 4 méthodes :

  • la dissertation avec un choix de sujet,
  • le cas pratique,
  • les questions réponses((souvent au nombre de 5)),
  • et les présentations/exposés.

Je n’ai eu affaire à des commentaires d’arrêt qu’une ou deux fois dans mes études du droit malgache, et je n’en suis pas grand amateur. C’est ainsi avec un certain plaisir que j’ai constaté que les professeurs n’étaient pas spécialement motivés pour corriger des commentaires. Cependant, j’étais dans un établissement privé, et celui-ci n’éta
it sûrement pas la norme. Ainsi ai-je questionné un condisciple d’Ankatso sur les méthodes d’évaluation que la faculté de Droit d’Antananarivo proposait, et celle-ci m’a assurée que les commentaires d’arrêts étaient légion.

En conséquence, si vous venez d’Ankatso, vous vous sentirez, au sein des universités françaises, comme un poisson dans l’eau devant une feuille d’examen. Celles-ci, d’une manière générale, ont facilement recours aux commentaires d’arrêts. Parfois, les enseignants vous proposeront un choix entre commentaire d’arrêt et dissertation, mais le second choix est un piège sournois. Fuyez-le à tout prix. On pourrait croire qu’il convient de choisir le sujet le plus inspirant, peu importe la méthode, mais ce serait mal comprendre ce que les enseignants attendent de la dissertation.

Un étudiant en droit doit-il aller droit au but ?

Un ami m’a dit qu’un commentaire était facile – plus facile du moins –, car il fallait juste commenter et qu’il y a toujours quelque chose à commenter dans un arrêt. Une dissertation, c’était pénible, car il fallait bâtir un raisonnement de toutes pièces. Ce qu’il avait dit à l’époque, je ne l’ai compris qu’un peu plus tard, car c’était exactement pour ces raisons que je pensais l’inverse. Mon appétence à prendre les choses en main m’amène naturellement à choisir la dissertation où l’on est libre de son raisonnement aux dépens des commentaires où l’on se sent fortement contraint. Cela me valut la plus mauvaise note de la classe.

Ce n’était que plus tard que j’ai compris ses dires, à partir du moment où j’ai assimilé la considération suivante : il est plus facile de critiquer que de créer. Il ne s’agit pas d’une allégation uniquement destinée aux devoirs de droit, c’est un mantra de vie. Il est plus facile de critiquer une œuvre, un livre, un film, une musique, que d’en créer un soi-même. On use quotidiennement de la première faculté alors qu’on laisse, de honte, notre chef-d’œuvre d’écriture dans le tiroir de notre bureau.

Pour revenir aux études de droit, pour peu que la notion juridique remise en cause ne vous soit pas entièrement inconnue, vous pourrez toujours critiquer le choix des juges dans l’arrêt qu’ils ont pris, que ce soit en positif ou en négatif, avec tout le travail d’analyse que cela impose et en vous aidant au passage des codes. Dans la dissertation par contre, l’étudiant a tendance à expliquer le sujet et… de répéter les cours. Vous comprendrez aisément que ce n’est pas tout à fait ce que l’enseignant souhaite comme travail intellectuel. À Madagascar, c’était acceptable, car l’étudiant fournissait un important effort de mémoire qui ne s’obtenait que lorsque la notion était bien assimilée. En France, l’étudiant dispose du code. Et recopier ou paraphraser le code ne nécessite pas vraiment d’effort intellectuel.

L’étudiant en droit doit-il savoir disserter ?

Qu’est donc une bonne dissertation pour les enseignants français ? Je pense avoir dégagé une théorie, mais je n’ai eu l’occasion de la tester que lors d’un seul examen. Celui étant le dernier de mon master, je n’ai malheureusement pas pu la confirmer. Cependant, elle m’a valu la meilleure note de la classe, à ex aequo, mais quand même !

On vous le dira, l’évaluateur attendra de vous un travail de raisonnement, même pour une dissertation. Or, par « travail de raisonnement », je pense que l’enseignant, encore empreint de ses souvenirs d’études doctorales, recherche une approche comparable à celui qu’il a fourni dans la rédaction de sa thèse. C’est-à-dire, grossièrement :

  • développer la notion,
  • en isoler un élément constitutif approximatif/bancal/incertain/peu développé,
  • y apporter des réponses ou des débuts de réponses((ce sera le travail de raisonnement)) en utilisant les notions voisines, l’interprétation de jurisprudence, l’interprétation de la doctrine, etc.

Le but n’est pas de trouver une réponse définitive à l’élément bancal que vous avez décidé d’examiner, mais de fournir un raisonnement juridique cohérent. Si vous arrivez à apporter une réponse définitive à la question en deux trois phrase, c’est que l’élément que vous avez isolé n’était pas vraiment bancal, donc pas vraiment intéressant. Mais peut-être l’enseignant aurait apprécié le travail de raisonnement malgré tout, je ne saurais le dire pour ne pas l’avoir testé.

Vous vous demandez maintenant comment il est possible d’établir tout ce raisonnement en l’espace de deux malheureuses heures. Et bien, c’est toute la difficulté de la dissertation à la française. Je n’ai pas de réponses à cette question. Par contre, j’ai utilisé une autre astuce lors du dernier examen que je vous ai décrit précédemment : la détection et l’isolation de l’élément bancal est un travail à effectuer en amont, avant l’examen, au moment des révisions. Il vous arrivera d’avoir, au cours de la lecture de vos cours, une question soudaine sur un aspect spécifique de la notion que vous révisez, ou une incohérence dans l’application de la notion pour une situation que vous aurez imaginée. Ce seront les éléments à isoler. Vous pourrez les marquer quelque part afin de vous en souvenir. Il ne vous restera qu’à apporter des réponses à votre interrogation et vous aurez votre raisonnement juridique et, naturellement, la direction que vous donnerez à la dissertation.

J’en vois déjà certains se plaindre de l’impossibilité de se remémorer, en plus des cours, l’ensemble de ce qui devrait être critiqué des cours. La seule contrainte que j’ai mentionnée était de noter quelque part les éléments à critiquer selon les notions juridiques étudiées, et de chercher une réponse de votre côté, sans forcément le noter. Une fois devant votre feuille de copie et à la découverte du sujet, vous ne devriez fournir que l’effort de vous remémorer les éléments à critiquer. Le raisonnement vous reviendra naturellement par la suite, car c’est votre œuvre et qu’on a tendance à se souvenir de ce qu’on crée personnellement.

L’étudiant en droit doit-il être évalué ?

Pour revenir à la question des examens, je l’ai dit, mais le redis, vous aurez principalement le choix entre le commentaire d’arrêt et la dissertation. Dans les deux cas, ce sont des examens lourds en termes de méthodologie et vous avez intérêt à avoir un esprit carré. Heureusement, ce ne sont pas forcément les méthodes d’évaluations préférées des enseignants et beaucoup proposent des alternatives : cas pratique, questions réponses, présentations, voire, des devoirs plus pratiques comme la rédaction ou la critique de contrats((pour peu que vous fassiez du droit des contrats)). Peut-être les enseignants en droit fiscal vous proposeraient de bâtir un montage de sociétés à destination de leurs clients.

Notez cependant que vous ne retrouverez pas les méthodes alternatives d’évaluations dans les cours « majeurs » comme le droit civil, le droit administratif, le droit constitutionnel((alors que ce serait intéressant de rédiger une loi constitutionnelle)), etc. Ces disciplines ont vu leurs principes fondateurs fortement éprouvés par l’histoire et disposent donc d’un fort vécu juridictionnel. Vous n’échapperez pas au commentaire d’arrêt.

Épilogue – Des Rakotos qui passent leurs examens

En cet été de 2016, le soleil d’août écrasant la dernière volonté des farfelus qui oseraient encore s’adonner aux bienfaits de la course à pied, je me suis mis à vagabonder sur les quais de Seine, profitant d’une brise d’air rafraichissante de dépit de la chaleur. C’était une habitude du midi, il me permettait d’apaiser mon estomac d’un copieux déjeuner. J’apprécie toujours autant ces moments de solitude. Les impératifs du travail m’im
posaient de ne sortir que lorsque le soleil se couche, et l’été, le soleil se couche à 23 heures. Ainsi, même si ma passion pour mes dossiers est un puissant moteur de vie, les quelques minutes de marches, muettes, aux côtés d’une eau d’un vert-marron limpide, me permettent de garder la tête reposée et les idées nouvelles pour l’après-midi. Et pour cet après-midi d’août, l’avocat associé m’a bien fait comprendre qu’il préférait me voir cracher sur la tombe de sa défunte mère que de rater le café du client qui doit arriver. C’est que monsieur Dupond est la septième plus grosse fortune de France, et l’affaire dont il fait l’objet en ce moment anime les débats télévisés de ces trois derniers mois. Voyez, monsieur Dupond a été …

MAIS C’EST RABE !

HEY RABE !

C’est toujours une agréable surprise de retrouver un visage familier dans des lieux auxquels on ne s’y attend pas, et dans ces situations, au diable le client ! Il est de convention tacite de prendre un café ensemble et d’échanger sur le bon vieux temps. Rituel que l’on s’est empressé de respecter.

Mon cher Rabe est, et sera pour les prochains mois à venir, un GVT, un « gasy vao tonga ». Immanquablement, notre discussion a commencé préalablement sur nos souvenirs communs, sur les bêtises de jeunesse. Mais à un moment, celui-ci m’arrêta. Il me dit alors : « J’avais lu ton article d’il y a un an, celui où tu parles des différences entre les facs françaises et les facs malgaches. Purée de pois chiches, c’était tellement vrai ! À chaque nouveau cours que je découvrais, je n’arrêtais pas de penser à l’article et je m’y retrouvais. C’était sympa. »

Je ne puis réprimer une manifestation de mon contentement après ces mots. Mais celle-ci faisait bien vite place à une impérieuse interrogation. Toujours soucieux de savoir si mes théories sont avérées, j’attendais une réponse depuis un an, depuis la rédaction de l’article auquel il faisait référence : « du coup…. le truc de la dissertation, ça a marché ? ».

Et Rabe de répondre : «

Partager :

Facebook
Twitter
Email

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pourrez également apprécier

Loïc H. Kwan

Dans la peau d’un juge de la HCC.

Les spéculations sur la décision de la HCC vont bon train et chacun n’hésite pas à donner de son avis sur ce que va faire la HCC. Comme la situation n’est pas prête de s’arrêter et que les discussions enflammées continueront pour un bout de temps encore, je vous propose de vous préparer à abasourdir tous vos amis lors de vos prochains débats, en leur démontrant ce qui sera sous peu votre expertise constitutionnelle

Loïc H. Kwan

Le rejet de la requête afin de déchéance du Prezy, décision politique ou juridique ?

La HCC a rendu son verdict cinglant ! Bien que la partie perdante – ahem *députés* cough cough – soit obligée de se soumettre à la décision de l’exceptionnellement plus haute, et seule, juridiction de Madagascar en matière de déchéance présidentielle, celle-ci étant de surcroît la gardienne attitrée de la Constitution, cela n’a pas empêché quelques uns de nos vaillants députés de crier à la violation de l’Etat de droit et à la manipulation du droit pour des agissements bassement politiques. Y-a-t-il eu des motifs autres que juridiques dans la décision n° 24 HCC/D3 ?