Causeries sur l’accès au droit des justiciables

Le juriste traîne derrière lui une réputation de vautour assoiffé d’argent. Que Nenni ! C’est un métier magnifique où l’on se bat pour la veuve et l’orphelin que l’on soit avocat, conseil, juge, notaire ou huissier. Que les honoraires montent à 8 millions d’ariary pour… QUOI 8 MILLIONS D’ARIARY ???!!!

Contrairement à ma mauvaise habitude d’écrire des pavés, pour ce billet-ci, je ne souhaite coucher sur papier que de simples réflexions qui ont fait l’objet d’une sympathique causerie avec Rakoto, un confrère rompu aux pratiques malgaches du droit. Nous avions, le temps d’une soirée, débattu d’une partie de nos expériences autour de la sempiternelle THB : lui, des pratiques et philosophie malgache du droit des affaires, moi, d’observations sur ce que j’ai pu constater en France.

Rakoto.

Rakoto aime bien communiquer. À propos de ses expériences, bonnes et mauvaises au sein de son cabinet, sur les missions qu’il a dirigé d’une main de maître((on ne raconte jamais les missions menées comme un pied)), sur les manigances qui se trament dans le petit monde des juristes malgaches.

Factures salées

Nos discussions durant la soirée s’attardaient sur les honoraires pratiqués par les cabinets juridiques renommés de la capitale. Rakoto m’annonçait ce soir-là que le prix pour une constitution de société pouvait avoisiner les 8 millions d’Ariary – soit environ 2500 euros. Pour un laissez-passer nécessaire dans le monde des affaires, le tarif est astronomique et surtout pas à la portée de la majorité des start-ups et PME malgaches. Même en comparant avec le tarif français qui tourne à 1500 euros pour des PME, le prix est excessif. En conséquence, pour qui n’a pas la chance d’être une grosse société ou un investisseur étranger, ne reste que la solution de se débrouiller soi-même afin de constituer sa société. Et ce phénomène est préoccupant.

-When did you become an expert in corporate law ?
– Last Night.

Si dynamique et habile que soit l’entrepreneur, il ne peut pas s’improviser juriste du jour au lendemain. Certes, l’internet regorge des ressources nécessaires pour permettre à quiconque avec un peu de motivation de concocter un dossier juridique qui saura satisfaire l’EDBM((Economic Development Board of Madagascar, l’organisme qui centralise les formalités liées aux sociétés)), mais il serait erroné de croire que le travail juridique réside dans la simple immatriculation de la société. Celui-ci consiste essentiellement dans la planification de l’administration de la société à travers les statuts. Or, des statuts bâclés signifient immanquablement des problèmes dans le futur. Et des statuts sont toujours bâclés quand : 1 – ils ne sont pas personnalisés, 2 – ils ne sont pas réalisés par une personne qui connaît le fonctionnement usuel des opérations de société.

Pour paraphraser quelque peu avec l’univers de la médecine, c’est exactement le problème de l’automédicamentation, pratique si prisée de nos compatriotes les plus humbles comme les plus radins. Il se peut que le traitement fonctionne sur le moment, mais la vraisemblable mauvaise posologie que l’on aura calculée entraînera nécessairement une adaptation de l’organisme et, conséquemment, une efficacité diminuée des médicaments par la suite. Lorsque le besoin de recourir aux antibiotiques se fera de nouveau ressentir, celles-ci n’étant plus efficaces, le patient, plus malade, devra se faire administrer un traitement plus sévère et plus nocif pour le corps.

La pratique des entrepreneurs qui consiste à se débrouiller soi-même pour le juridique de l’entreprise afin économiser quelques sous est non seulement vouée à l’échec, mais elle est également dommageable : à la survenance du premier problème, ils devront malgré tout recourir aux services d’un juriste, mais en plus, le cas échéant, une situation qui aurait pu être simple de résolution devient inextricable à cause des mauvais statuts. Et soyez sûr que le praticien facture cher chaque cheveu qui aurait blanchi durant le traitement des dossiers difficiles.

Pourquoi voulez-vous être juriste ?

Mais ce billet n’est pas une dénonciation à l’endroit des entrepreneurs inconscients. Si quelque chose devait être condamnable, ce serait les tarifs dissuasifs pratiqués par les cabinets qui obligent, à mon sens, les entrepreneurs à prendre le chemin de l’automédicamentation juridique. Celles-ci me semblent contraires à l’objectif du conseil juridique dont le but et l’intérêt sont d’accompagner l’entrepreneur tout au long de son entreprise. Le but du conseil étant, pour citer l’un de mes maîtres : d’offrir le service et le prix qui invitera le client à nous considérer non comme un prestataire de service, mais comme un partenaire de la société.

Le système D, D comme Dysfonctionnel

Cette philosophie, selon Rakoto, n’est pas celle des affaires malgaches. Selon son expérience, l’entrepreneur malgache ne vient vers le juriste que lorsqu’il a épuisé toutes ses cartes à lui, car il aurait toujours, au préalable, essayé de se débrouiller de lui-même. Le conseil peut donc être sûr qu’un nouveau client apporte son lot de problèmes. Les affaires qu’il soumet au conseil étant présupposées compliquées, les 8 millions d’Ariary ne seraient finalement qu’un juste honoraire pour une constitution qui n’est sûrement pas simple. Et, en effet, on peut reconnaître là un trait de caractère bien à nous : aucune raison de payer quelqu’un pour quelque chose que l’on peut faire soi-même et peut-être mieux encore ! Comme écrire un statut dont les exemples pullulent sur internet ne paraît pas bien compliqué, il n’y a aucune raison d’aller voir le juriste, il faut juste se donner un peu de temps.

Cercle vicieux

Ceci étant, j’ai récemment eu l’occasion de constater un contre-exemple. Rabe, ancien camarade de classe, m’a approché afin de jeter un coup d’œil sur un contrat de prestation de service entre lui et son premier gros client. Celui-ci m’avait raconté que quelques semaines auparavant, en vue de s’assurer de la sécurité du contrat et faire les choses dans les règles de l’art, il souhaitait s’octroyer, pour une première fois, les services d’un cabinet juridique. Se rapprochant alors d’un cabinet qui s’est fait un nom dans l’accompagnement des PME nationales, il s’était vite ravisé lorsqu’il a posé les yeux sur la grille tarifaire qui indiquait qu’il allait payer 50 euros l’heure le stagiaire qui allait rédiger son contrat. Comme un stagiaire ne va jamais valider un contrat définitif, s’ajoutent nécessairement à ces 50 euros horaires les honoraires des supérieurs hiérarchiques qui s’estimeront nécessaires à la finalisation du contrat. Sachant qu’un contrat passe au moins entre 2 mains spécialistes – avec un tarif horaire supérieur à 100 euros de l’heure -, et qu’il n’est jamais rédigé en un seul jour((il faut laisser reposer ce qu’on écrit afin d’avoir une vision plus fraîche le lendemain)), la note atteint très facilement le millier d’euros… pour un contrat « facile ». En conséquence, bien qu’initialement enthousiaste à l’idée de recourir à un conseil juridique, Rabe s’est finalement résolu à l’automédicamentation. Le résultat, cela va sans dire, était désastreux. Ne serait-ce que par amour du bon sens juridique, il m’a fallu l’aider à établir un nouveau contrat.

Nota Bene

Il est bon de préciser à nouveau qu’il s’agit ici du cas de cabinets dont la renommée n’est plus à faire et n’a, de toutes les façons, pas été construite à Madagascar. Bien sûr que leurs tarifs sont extravagants ! Leurs dossiers sont extravagants, leur clientèle est elle-même extravagante et exige un tarif extravagant conformément aux règles du prix psychologique((la raison qui vous inc
ite à acheter sans crainte des baskets Nike « vrais » à 500 000 Ariary et à vous méfier de ceux qui coûtent 150 000 Ariary)).

Il ne s’agit pas ici du cas des cabinets ou libéraux « à taille humaine » qui facturent leurs honoraires de manière plus raisonnable. Pour ces derniers, le problème réside dans la question de la confiance. Sur le principe, encore une fois, du prix psychologique, on aura tendance à se méfier du conseil qui proposera une constitution de société à 1 million d’Ariary lorsque l’on sait que les autres pratiquent les 8 millions d’Ariary. Le consommateur((la notion de prix psychologique relève du marketing donc autant employer le vocabulaire marketeux)) penserait qu’il y manque un je-ne-sais-quoi d’importance. Dans une telle situation, le souci serait plutôt le comportement du consommateur qui a l’habitude de croire que le prix est le meilleur indicateur de la qualité. Or, qui ne se souvient pas d’avoir mangé un plat trop huileux dans un restaurant « gastronomique » alors que les nems chez le chinois du coin sont toujours délicieux.

Ou alors, autre face du médaillon, le souci est tout simplement le manque de visibilité de ces praticiens. UFC Que Choisir est une association française dont l’objectif est d’informer, de conseiller et de défendre les consommateurs. Ils proposent ainsi, sous certaines conditions, des services d’aide juridique aux particuliers-consommateurs. Bien que leurs conseils soient souvent des bénévoles : soit élèves-avocats, soit étudiants en master de droit, les fois où j’y suis passé, leurs locaux ne désemplissaient pas. La popularité de la marque UFC Que Choisir éclipsait la compétence encore jeune des bénévoles. Non, il ne faut pas sous-estimer l’importance de la communication dans le comportement des clients et pourtant les praticiens, surtout les indépendants, semblent l’ignorer pour la plupart. Alors que la publicité directe leur est interdite – je crois –, il existe d’autres moyens, accessibles et respectueux de la déontologie de se faire connaître.

Du socialisme juridique

L’accès au droit fait partie, semble-t-il, des préoccupations du gouvernement actuel dans sa politique d’yeux doux aux bailleurs de fonds. Cependant, cet objectif ne saurait être atteint par l’action du seul gouvernement. Pour que le justiciable, profane, puisse accéder à ses droits, il lui faut avoir le moyen de recourir aux compétences de spécialistes qui sauront le guider en toute confiance dans un environnement nouveau et souvent hostile. Si l’on souhaitait arriver à un tel objectif, chaque protagoniste devrait fournir sa part d’effort :

  • aux cabinets : de demander, pour paraphraser Jacques Vergès, des honoraires princiers aux princes et rien aux jardiniers… en fait de recevoir les jardiniers, même pour la forme, ce n’est déjà pas mal ;
  • aux praticiens qui accueillent déjà les jardiniers : de se faire connaître ;
  • aux justiciables : d’arrêter de regarder avec les yeux de Chimène les « grands » cabinets et avec ceux d’Emma Bovary les praticiens indépendants. Pour paraphraser une avocate dans un article que je ne retrouve plus sur la question de la notoriété dans la profession : la notoriété s’acquiert dans les dîners mondains. Or, le temps passé à causer dans les soirées, c’est moins de temps passé sur les dossiers.

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